Opérer avec le couteau sous la gorge : « Changez le financement hospitalier avant que le vieillissement ne change tout! »
10 novembre 2022Pour la plupart des hôpitaux, 2022 sera une année dans le rouge. Et l'avenir s'annonce tout aussi rouge si rien ne change. Attelez-vous svp à cette réforme du financement des hôpitaux avant que le vieillissement de la population ne change tout.
Le rapport MAHA annuel - un “stresstest” pour le secteur hospitalier - montre depuis des années que les hôpitaux belges sont structurellement sous-financés. La marge opérationnelle est d'environ un demi pour cent en moyenne. Avec cela, vous pouvez difficilement créer une marge pour des politiques ou avoir des tampons. Un quart des hôpitaux sont même déficitaires. L'UZ Brussel, avec une marge de 2% en temps normaux, fait partie des institutions les plus saines. Cela ne change rien au fait que ce sera une année dans le rouge pour nous aussi. L'indexation des salaires a un impact plus important pour nous que pour les autres hôpitaux car nos médecins sont presque tous salariés. En outre, la facture énergétique devrait atteindre 12 millions d'euros l'année prochaine, soit quatre fois plus qu'il y a deux ans. Pourtant, depuis bien avant cette crise énergétique, nous avons une politique énergétique visant à maximiser notre propre production d'énergie grâce à des panneaux solaires, à la cogénération et, récemment, à la géothermie. De plus, nous sommes le seul hôpital en Belgique qui peut affirmer avec 100% de certitude qu'il restera opérationnel en cas de panne d'électricité. Mais tous ces investissements ne peuvent donc pas empêcher que 2022 soit une année déficitaire.
Commencez par réduire le nombre de lits coûteux
Les Pays-Bas dépensent presque autant d'argent pour les soins de santé que la Belgique, soit environ 5.700 euros par habitant contre 5.400 euros. Pourtant, en moyenne, les hôpitaux néerlandais sont financièrement plus sains et, surtout, plus généreusement financés. Comment cela se fait-il ? Pour commencer, les Pays-Bas comptent beaucoup moins de lits d'hôpitaux aigus que la Belgique : 3,3 pour 1000 habitants contre 5,7 pour 1000 - et chaque lit d'hôpital est un lit coûteux. C'est quand même notable pour un pays qui est très similaire en termes de culture et de composition de la population. Les voisins du Nord ont fait plus d'efforts, entre autres, pour les soins transmuraux. Je ne dis pas que nous devons copier le modèle néerlandais, mais cela donne quand même matière à réflexion.
Lorsque j'analyse mes 720 lits ici, je constate qu'un bon nombre d'entre eux contiennent des personnes qui ne devraient vraiment pas y être. Ils ont été admis pour une maladie qu'ils ont contractée en raison d'une accumulation, parfois pendant des décennies, de comportements à risque : tabagisme, alimentation malsaine, alcool, sédentarité... Si nous pouvons réduire ce nombre en investissant davantage dans la promotion de la santé, suffisamment d'argent sera libéré pour mieux soutenir financièrement les hôpitaux. Et cela ne nécessite pas d'énormes sommes d'argent. Qu'est-ce qui incite les gens à porter la ceinture de sécurité ? Des amendes ? De grandes campagnes de sensibilisation avec des images terribles d'accidents ? Non, mais un bip irritant quand vous ne bouclez pas votre ceinture. Donc juste un accord des autorités avec les constructeurs. C'est ce qu'on appelle le "nudging" : inciter intelligemment les gens à adopter le comportement souhaité.
Celui qui veut faire les choses différemment, perd des revenus
Consacrer davantage d'efforts à la promotion de la santé est un élément qui permet aux hôpitaux de respirer davantage sur le plan financier. Une autre concerne le financement des hôpitaux en tant que tel. Le modèle belge est encore largement fondé sur la rémunération à l’acte. Cela signifie – en boutade - qu'en tant qu'hôpital, nous avons tout intérêt à ce qu’il y ait dans notre zone d’action le plus grand nombre possible de personnes malades à traiter. Cela ne peut quand même pas être le but ? Mais les coûts élevés et la nomenclature actuelle - la liste codée des prestations de soins de santé et le remboursement qui y est lié - nous obligent aujourd'hui plus que jamais à penser de cette manière.
Plus encore, nous perdons des revenus si nous effectuons moins de scanners ou de examens, ou si nous nous engageons réellement dans du value based healthcare, des soins de santé qui placent le résultat souhaité par le patient au centre. Laissez-moi vous donner un exemple. Les patients qui souffrent de douleurs chroniques sont souvent aidés par une pompe à douleur. De temps en temps, ils doivent ensuite se rendre à l'hôpital pour vérifier si tout fonctionne toujours correctement. Pendant la pandémie de Covid-19, ces personnes n'ont toutefois plus été autorisées à se rendre à l'UZ Brussel. Nous avons donc mis en place une équipe de liaison qui rendait visite aux patients à domicile, en concertation avec le médecin généraliste et l'infirmière à domicile. A la grande satisfaction des patients eux-mêmes : ils ont reçu la même qualité de soins et, de surcroît, tout simplement à domicile. Mais financièrement, nous étions pénalisés, car nous ne pouvions pas facturer d’honoraire car, selon la nomenclature, ce type de traitement doit avoir lieu à l'hôpital ...
« En tant qu'hôpital, nous avons tout intérêt à ce qu’il y ait dans notre zone d’action le plus grand nombre possible de personnes malades à traiter. Cela ne peut quand même pas être le but ? »
Ce n’est pas le traitement médical qui doit être au centre, mais bien les résultats pour le patient
L'essentiel est donc que nous devenons déficitaires si nous faisons aujourd’hui ce qu’il convient de faire: d'une part, veiller à ce que les gens restent en bonne santé (je pense que c'est sur ce point que nous, en tant qu'hôpital, devons vraiment montrer la voie), et d'autre part, offrir des soins de santé qui tiennent compte autant que possible des souhaits et des besoins du patient. En d'autres termes, nous avons besoin d'un changement de paradigme. Le ministre Frank Vandenbroucke s'efforce de réformer le financement des hôpitaux. Repenser la nomenclature est un élément crucial de cette démarche. Nous applaudissons. Le financement doit en effet être plus simple et plus transparent. Et oui, il peut et doit rester une part de rémunération à l'acte, car le service est aussi un élément de la qualité des soins. Mais dans un équilibre différent. Les médecins doivent bien savoir ce pour quoi ils sont récompensés, et ce n'est pas l'acte médical en soi mais plutôt le résultat pour le patient qui devrait être au centre de cette démarche, ainsi que la promotion du meilleur état de santé possible de la population. Par exemple, l'utilisation proactive des données et la mise en place d'une collaboration intégrée avec d'autres prestataires de soins qui permet au patient d'éviter d'autres problèmes de santé devraient être récompensées au même titre qu'une intervention médicale.
Si rien ne change, nous allons droit dans le mur
Sur cet objectif de réforme, tout le monde est largement d'accord. Mais quelles sont les premières mesures à prendre ? Je pense qu'il faut tout aborder en même temps, car tout est intrinsèquement lié. Et parce que dans un système adaptatif complexe comme les soins de santé, il n'est pas possible de s’y prendre autrement... Ce n'est pas une tâche facile et cela prendra plus d'une législature. Mais il n'y a pas d'alternative. Pour l'avenir, nous savons que la population vieillit et que la demande de soins va augmenter. Nous savons également que le nombre de soignants diminue et que les technologies et les médicaments sont de plus en plus chers. Nous n'avons pas l'argent pour payer tout cela. Donc, si rien ne change, nous allons droit dans le mur
Mon message à Frank est le suivant : tiens bon ! Et aux ministres de la Santé publique qui viendront après lui : continuez sur la même voie. Cette approche lente à long terme n'est évidemment pas une solution à la santé financière précaire des hôpitaux en ce moment. Mais ce changement de paradigme doit absolument avoir lieu. Aujourd'hui, nous sommes à bout de souffle. S'il vous plaît, ne perdez plus de temps avant que cela ne commence vraiment à faire mal.
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